By Cameroonian cartoonist Dante |
Le 13 janvier 2013, la France a essuyé l’une des attaques
terroristes les plus meurtrières sur son territoire. En effet, une fratrie
islamiste a fait éruption dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo et
a fait douze victimes. Elle a au passage laissé non seulement un pays, mais le
monde tout entier sous le choc. De Paris à Washington en passant par Londres, Lomé,
et Rio de Janeiro, les réactions ont été unanimes et témoignent toutes de
l’indignation générale que cet attentat terroriste a provoquée. Dans la foulée,
le monde s’est mobilisé pour dire toute sa solidarité avec le peuple français et
par-dessus tout, pour réaffirmer son soutien aux valeurs que le journal ciblé représente.
L’expression ’Je suis Charlie‘ est devenue le point de ralliement de tous ceux
qui adhèrent à la liberté d’expression et s’oppose de manière catégorique au
terrorisme. À travers des marches, les Français de tous les horizons
politiques, de toutes les obédiences religieuses et de toutes les races se sont
réunis pour déclarer d’une seule voix ‘Je suis Charlie‘.
Dans ce
moment de solidarité internationale, l’Afrique n’a pas été en reste. En effet,
elle a également joint sa voix à ce cri mondial par le biais des chefs d’état
africains qui ont fermement condamné ces attentats et pris position contre
toute tentative de museler la presse.
Instinctivement, par solidarité et comme le veut nos mœurs
virtuelles, certains d’entre nous, Africains et Camerounais, qui sont à mille
lieues de Paris, ont pu être Charlie soit
en cliquant sur l’option “Aimer” que nous propose
Facebook ou en partageant les nombreuses photos qui ont fleuries sur la toile en
hommage aux victimes de cet acte de barbarie incroyable. Malheureusement notre
soutien quoique principalement virtuel à cet élan mondial d’humanisme a été
salué par des critiques ô combien acerbes sur notre soi-disant participation
dans une tendance occidentale qui consiste à
sur-considérer la vie de blancs aux dépens de celle des noirs qui meurent
quotidiennement au Nord Kivu en RDC, au nord du Nigeria et au Cameroun pour ne
citer que ceux-ci. Dans une sorte de contremanifestation, les partisans de ce
courant de pensée ont conçu et partagé des photos disant ‘Je suis Afrika’, ’Je
suis le Nord Kivu ‘ ou ’Je suis Kolofata‘, inspirés par la photo ’Je suis
Charlie‘ omniprésente sur la toile.
Toutefois
Pour appuyer leurs points de vue, les’anti-Je suis
Charlie‘ ont eu recours a maintes arguments, mais le plus récurrent semble être
le suivant.
Les pertes en vie
humaine enregistrées par exemple au Cameroun dans la croisade contre la nébuleuse
Boko Haram ne suscitent pas une mobilisation égale à celle de Paris et ne bénéficient
pas de la même couverture médiatique. Par conséquent, toute implication dans le
mouvement ’Je suis Charlie‘ est synonyme d’une certaine complicité dans la
dévalorisation continue par l’Occident des questions et des vies noires. Pourquoi n’a-t-on pas assisté a une mobilisation
internationale aussi grande autour des victimes du Boko Haram au Nord Nigeria
par exemple, ont-ils demandé. Selon eux, vraisemblablement, tout alignement par
les Africains avec ce mouvement est une trahison des leurs.
Tout en traduisant un sentiment d’injustice crédible, cet
argument provoque plutôt des interrogations. Le ton accusateur des propos
avancés par les anti-Je suis Charlie‘, m’a inspiré le chapelet d’interrogations
suivant : où sont les mouvements indigènes, populaires ou pas, soulignant les
défis conjoncturels du continent ? Qui est responsable de l’absence d’un élan
fédérateur autour de la question de la guerre contre Boko Haram – les Africains,
leurs dirigeants ou l’Occident ? Est-ce que l’Occident s’est désisté d’un
mouvement indigène populaire contre Boko Haram ? Est-ce le peuple qui définit
l’action publique ? Est-ce le peuple qui construit et forge une conscience
collective autour d’une question nationale ou continentale ? De plus, quel
mal y aurait-il à partager la douleur d’un peuple ? Où est passée la
légendaire solidarité africaine, se serait-elle volatilisée et serait-elle
devenue raciste parce que consciente des frontières ? Devrais-je, en tant
qu’individu, payer les frais de la stérilité visionnaire de mes dirigeants qui
sont incapables de mobiliser leurs peuples respectifs pour soutenir lors d’une
marche des valeurs telles que la liberté ? Sommes-nous individus obligés
de taire l’expression de nos opinions socio-politiques par notre
non-appartenance à un continent historiquement exploité et négligé avec l’aval
de ces dirigeants ? Comment sommes-nous citoyens du village planétaire censés
affirmer notre présence dans ce village si ce n’est pas en se prononçant sur
des questions de l’heure ?
Pour conclure
En voulant comprendre le fond de la pensée de ceux qui
critiquent la participation même virtuelle dans le mouvement ‘Je suis Charlie’,
j’ai fait deux constats. Premièrement, les ‘anti-Je suis Charlie’ font une
mauvaise lecture sinon biaisée de la participation de certains Africains à ce mouvement. Cette participation n’est pas
un soutien à la France mais un soutien a
une valeur démocratique – celle de la liberté d’expression- dont il jouisse
sinon il ne serait pas en train d’exprimer aussi librement leurs mécontentement
envers les choix personnels de certains. Deuxièmement, les critiques provenant
des ‘anti-Je suis Charlie’ se nourissent en partie des griefs historiques
qu’ils portent contre l’Occident pour les injustices qu’il a fait subir a
l’Afrique. Cette situation explique pourquoi ils sont incapables ou ne veulent
pas faire une distinction entre la France/l’Occident et les valeurs comme la
liberté d’expression. Elle explique aussi pourquoi ils confondent action civile
et engagement politique. Les deux sont guère des synonymes. Donc souffrez que
je sois Charlie, une fois de plus.
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