Monday, February 2, 2015

Souffrez que je sois Charlie



 By Cameroonian cartoonist Dante


Le 13 janvier 2013, la France a essuyé l’une des attaques terroristes les plus meurtrières sur son territoire. En effet, une fratrie islamiste a fait éruption dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo et a fait douze victimes. Elle a au passage laissé non seulement un pays, mais le monde tout entier sous le choc. De Paris à Washington en passant par Londres, Lomé, et Rio de Janeiro, les réactions ont été unanimes et témoignent toutes de l’indignation générale que cet attentat terroriste a provoquée. Dans la foulée, le monde s’est mobilisé pour dire toute sa solidarité avec le peuple français et par-dessus tout, pour réaffirmer son soutien aux valeurs que le journal ciblé représente. L’expression ’Je suis Charlie‘ est devenue le point de ralliement de tous ceux qui adhèrent à la liberté d’expression et s’oppose de manière catégorique au terrorisme. À travers des marches, les Français de tous les horizons politiques, de toutes les obédiences religieuses et de toutes les races se sont réunis pour déclarer d’une seule voix ‘Je suis Charlie‘. 

           Dans ce moment de solidarité internationale, l’Afrique n’a pas été en reste. En effet, elle a également joint sa voix à ce cri mondial par le biais des chefs d’état africains qui ont fermement condamné ces attentats et pris position contre toute tentative de museler la presse.

              Instinctivement, par solidarité et comme le veut nos mœurs virtuelles, certains d’entre nous, Africains et Camerounais, qui sont à mille lieues  de Paris, ont pu être Charlie soit en cliquant sur l’option “Aimer” que nous propose Facebook ou en partageant les nombreuses photos qui ont fleuries sur la toile en hommage aux victimes de cet acte de barbarie incroyable. Malheureusement notre soutien quoique principalement virtuel à cet élan mondial d’humanisme a été salué par des critiques ô combien acerbes sur notre soi-disant participation dans une tendance occidentale qui consiste à  sur-considérer la vie de blancs aux dépens de celle des noirs qui meurent quotidiennement au Nord Kivu en RDC, au nord du Nigeria et au Cameroun pour ne citer que ceux-ci. Dans une sorte de contremanifestation, les partisans de ce courant de pensée ont conçu et partagé des photos disant ‘Je suis Afrika’, ’Je suis le Nord Kivu ‘ ou ’Je suis Kolofata‘, inspirés par la photo ’Je suis Charlie‘ omniprésente sur la toile.

Toutefois
            Pour appuyer leurs points de vue, les’anti-Je suis Charlie‘ ont eu recours a maintes arguments, mais le plus récurrent semble être le suivant. 

             Les  pertes en vie humaine enregistrées par exemple au Cameroun dans la croisade contre la nébuleuse Boko Haram ne suscitent pas une mobilisation égale à celle de Paris et ne bénéficient pas de la même couverture médiatique. Par conséquent, toute implication dans le mouvement ’Je suis Charlie‘ est synonyme d’une certaine complicité dans la dévalorisation continue par l’Occident des questions et des vies noires.  Pourquoi n’a-t-on pas assisté a une mobilisation internationale aussi grande autour des victimes du Boko Haram au Nord Nigeria par exemple, ont-ils demandé. Selon eux, vraisemblablement, tout alignement par les Africains avec ce mouvement est une trahison des leurs.
            Tout en traduisant un sentiment d’injustice crédible, cet argument provoque plutôt des interrogations. Le ton accusateur des propos avancés par les anti-Je suis Charlie‘, m’a inspiré le chapelet d’interrogations suivant : où sont les mouvements indigènes, populaires ou pas, soulignant les défis conjoncturels du continent ? Qui est responsable de l’absence d’un élan fédérateur autour de la question de la guerre contre Boko Haram – les Africains, leurs dirigeants ou l’Occident ? Est-ce que l’Occident s’est désisté d’un mouvement indigène populaire contre Boko Haram ? Est-ce le peuple qui définit l’action publique ? Est-ce le peuple qui construit et forge une conscience collective autour d’une question nationale ou continentale ? De plus, quel mal y aurait-il à partager la douleur d’un peuple  ? Où est passée la légendaire solidarité africaine, se serait-elle volatilisée et serait-elle devenue raciste parce que consciente des frontières ? Devrais-je, en tant qu’individu, payer les frais de la stérilité visionnaire de mes dirigeants qui sont incapables de mobiliser leurs peuples respectifs pour soutenir lors d’une marche des valeurs telles que la liberté ? Sommes-nous individus obligés de taire l’expression de nos opinions socio-politiques par notre non-appartenance à un continent historiquement exploité et négligé avec l’aval de ces dirigeants ? Comment sommes-nous citoyens du village planétaire censés affirmer notre présence dans ce village si ce n’est pas en se prononçant sur des questions de l’heure ?

Pour conclure
               En voulant comprendre le fond de la pensée de ceux qui critiquent la participation même virtuelle dans le mouvement ‘Je suis Charlie’, j’ai fait deux constats. Premièrement, les ‘anti-Je suis Charlie’ font une mauvaise lecture sinon biaisée de la participation de certains Africains  à ce mouvement. Cette participation n’est pas un soutien  à la France mais un soutien a une valeur démocratique – celle de la liberté d’expression- dont il jouisse sinon il ne serait pas en train d’exprimer aussi librement leurs mécontentement envers les choix personnels de certains. Deuxièmement, les critiques provenant des ‘anti-Je suis Charlie’ se nourissent en partie des griefs historiques qu’ils portent contre l’Occident pour les injustices qu’il a fait subir a l’Afrique. Cette situation explique pourquoi ils sont incapables ou ne veulent pas faire une distinction entre la France/l’Occident et les valeurs comme la liberté d’expression. Elle explique aussi pourquoi ils confondent action civile et engagement politique. Les deux sont guère des synonymes. Donc souffrez que je sois Charlie, une fois de plus.


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